Combien faut il de photographes pour changer un système ?

Le panopticon#

Un mouvement social, ça a besoin d’exister dans l’espace public : Rien de nouveau. D’ailleurs c'est le principe d’une manif : regardez, on est pleins dans la rue, faites pas genre vous savez pas. À l’ère des réseaux sociaux plus que jamais, le combat politique, il se fait aussi par la communication. Ça, le gouvernement l’a bien compris : en témoigne l'arsenal médiatique entourant la dernière réforme du moment.

Du coup c'est normal, et même nécessaire, que nous produisions aussi un message.

Les journaux politiques imprimés en basse qualité à la COREP

les photos un peu folklo d’une vitrine cassée qui tourne sur les conversations

le site d’info libertaire au graphisme tellement année 2000 qu’il sera bientôt à nouveau fashion

le syndicat que tu adores détester qui utilise des émojis dans ses comms sur les réseaux sociaux.

Mais la question se pose : pourquoi chacun de ces média existent ? Contrer la propagande gouvernementale ? Donner du baume au cœur ? Donner des clefs de compréhension ?

Parce que moi, j’ai l’impression que la plupart des photo-reporters de guerre du dimanche dans nos manifs est surtout là pour faire monter son nombre de follower.

La différence entre le bon et le mauvais photographe#

Ligne tactique de photographes pour contenir un fumigène menaçant les manifestantxs

Déjà, parlons du nombre : en vrai, je comprends. Capturer cet instant fugace d’un peuple qui se lève, de la foule déterminée, ça donne envie. Et puis, il parait qu’il y a pleins de gens qui subissent la répression dans l’ombre. Alors si tu peux mettre à profit ta connaissance du triangle d'exposition pour documenter les sales coups des flics, ça pourrait bien être ta contribution à la lutte. Mais est-ce qu’on a besoin d’autant de "documentation" ? Au moindre fumi craqué, au moindre mascu qui fait genre de tenir les flics à distance par la seule force de son majeur, des dizaines de photographes débarquent pour capturer cet instant si unique. Sans compter que lorsqu’on a participé à l’organisation de la manif et qu’on cherche les-dits photographes sur les réseaux pour les contacter, ils sont aux abonnés absents. Où vont toutes ces photos ? Si tant d’entre elles s’échouent sur les rivages des piges foirées et des pages à trois abonnéxs, pourquoi y a-t-il autant de flashs en manif ?

Ensuite, le médium : c’est important de réfléchir aux outils qu’on utilise. Déjà, aucune situation ne justifie stratégiquement un live facebook. À chaque street-reporter qui agite son smartphone sur un stabilisateur, j’imagine le cyber-RG un café trop amer à la main, dégustant des preuves compromettantes à jamais effaçables. On m'a déjà répondu que pour certaines personnes, ces lives sont leur seul moyen de participer aux manifs. Malheureusement, ce n'est pas une raison suffisante pour compromettre la vie privée et la sécurité des manifestantxs. À ça s’ajoute ceux qui filment en "hors-ligne", faisant du mieux qu’ils peuvent pour éviter d’attraper des têtes, mais qui au bout du compte ne feront aucun travail d’anonymisation, parce qu’avec l’algorithme™ en guise de rédac’ chef, le temps c’est de l’argent. Et on a le photographe qui fait des super jolies photos, qui floute même les godasses. Sauf que même si je ne boude pas l’esthétique d’une poubelle qui crame devant une ligne de flics en panique… je vois pas trop en quoi ça nous avance politiquement d’en avoir une 1531ème.

un "journaliste" dans une tenue digne d'un sbire de méchant de film

Enfin, les motivations : même en excluant le pigiste local qui préférerait être ailleurs, c'est pas si compliqué que ça à deviner. Plus une personne aura/est investie dans les luttes, plus elle aura tendance à faire gaffe à l’anonymat. Elle sait. Elle a déjà été de l’autre côté du téléobjectif. J'ai aucun doute, Benjamin, que ton reel insta de la (2023, février) Poubelle cramax, Villeurbanne [pixels sur écran fracturé] terminera dans les e-books d’Histoire. Mais en attendant, ma liberté et celle de mes camarades, d’exister et de lutter, vaut plus que tous tes followers.

Personnellement, j’ai arrêté de compter le nombre de fois en manif où j’ai vu des street-médics se faire hurler dessus “ET LA LIBERTÉ DE LA PRESSE ALORS ????” par un jean-michel et son Nikon à trois SMICs fraichement acheté qui veut forcer leur périmètre pour fournir leur dose de sang à ses followers.

Le saviez vous ? Un objectif photo, c’est fragile et cher. Abonnez-vous pour plus de faits qui n’ont définitivement aucun rapport avec le sujet.

ENHANCE!#

Les techniques d'anonymisation ne manquent pas : cadrage, compo, post-processing...

Il est grand temps que l’on se (re)construise un rapport à l’image et à la communication. C’est pas un sujet facile : on croise nécessité de visibiliser, sécurité, mémoire des luttes et tout un tas d’autres sujets complexes. Alors on fait quoi ? On monte des systèmes d’accreds autoritaires qui décident qui qu’a le droit ou pas ? On fait des séminaires de ✨sensibilisation✨ avec des super powerpoints ?

Blague à part, ayant fait un peu de photo en manif, ayant discuté avec des potes photographes, et ayant dû faire du SO sur des manifs où la photo était un sujet "sensible", la meilleure piste qu'on a trouvé avec des camarades serait de lancer un mouvement autour d'un symbole d'identification associé à une charte que journalistes et photographes pourraient arborer pour signifier "hey, t'inquiète, je fais gaffe, on est ensemble". Ça serait plus symbolique qu'autre chose mais pourrait déclencher une discussion plus large sur le sujet tout en permettant aux journalistes de montrer patte blanche sur une simple base de confiance et non de flicage.

Mais si on peut essayer de faire preuve de diplomatie (et certainxs photographes y sont réceptifves), ça reste aux photojournalistes de faire le premier pas et à apprendre à demander l'autorisation de prendre une photo et respecter le refus. La relation entre militantxs et journalistes va, compte tenu des enjeux, au-delà du simple cadre légal existant sur le droit à l'image. Le cas contraire…

Si les images peuvent servir la lutte, elle ne sont pas leur but ultime.

Nos luttes et nos existences se limitent pas à être des sujets mis à dispositions des journalistes et autres instagrameurs.