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Bah non, je voterai pas mélenchon.

Je comprends pourquoi vous voterez mélenchon. Mais ça sera sans moi.

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10 min

D'habitude, à chaque élection, je me pose pas la question. En tant qu'anarchiste, je me refuse à voter.

Cette fois-ci, je me suis sincèrement posé-e la question. Non pas que je me sois demandé-e pour qui voter, mais j'ai plutôt eu un accès de panique le dernier jour des inscriptions sur liste électorale : le contexte semble si incertain, dans un sens comme dans l'autre, qu'il serait dommage de se fermer des portes. Je me suis donc inscrit-e.

Je me suis aussi posé-e la question du "vote stratégique" : pas tant parce que je pense que c'est efficace, mais disons que pour le peu de temps que ça prend, ça pourrait se défendre. Mes cercles sociaux m'ont beaucoup influencé : beaucoup de mes camarades autrefois abstentionnistes convaincu-es, anti-FI jusqu'au bout des ongles, iront voter méluche. Forcément, je me suis questionné-e.

Mais non, finalement non, je ne voterai pas, et encore moins mélenchon. Enfin, si par un tour de magie il passe au second tour, disons pourquoi pas.

Pour 2017, je m'étais fendu-e d'un thread twitter et plus tard d'un article sur mes ressentiment contre mélenchon. Il s'agissait principalement d'une liste un peu bancale des positions controversées de celui-ci, notamment sur le plan économique (comme la question de la relance keynesienne) et géopolitique. C'était logique : tout le monde parlait de mélenchon comme une grande figure de gauche qui avait ses chances, mais moi (et d'autres) ne voyaient pas les choses comme ça.

Mais cette fois-ci c'est différent : nombre de forces militant-es et camarades s'accordent à dire que mélenchon c'est vraiment pas dingue, limite craignos. Simplement, stratégiquement, le contexte ne serait pas le même. Et en vrai, je comprends. Je ne suis pas d'accord, mais je comprends. De la même manière, bien que je trouve l'idée d'un "barrage républicain" absurde voire dangereuse sur le long-terme, je ne fustige pas les camarades qui ont par dépit voté macron au second tour en 2017. Je peux comprendre l'élan de panique et de désespoir, je ne juge pas.

Mais je ne suis pas convaincu-e.

Première chose : pourquoi tout ce cirque à essayer de "convaincre" des gens ? Les élections sont déjà faites. Non, je ne parle pas là de la question de l'influence des média aux mains du grand Capital, ou même d'un complot vis-à-vis du processus électoral. Mais la plupart des gens ont déjà fait leur choix : ce qui influence le plus les gens, c'est le mandat en cours : la plupart des candidats ont des idéologies et promesses tellement diamétralement opposées qu'il y a très peu de marge de manœuvre pour les gens de changer de candidat au dernier moment. Qui plus est, ce mandat de Macron a sans doute été l'un des plus polarisants. Comprenez bien : ça ne veut pas dire qu'il y a un quelconque moyen de prédire à l'avance ce qu'il va se passer : les facteurs à mesurer sont bien trop nombreux. Mais même si on ne connait pas encore le résultat, les pièces sont déjà en place dans la tête des gens. Reste une poignée "d'indécis-es", que tou-tes tentent de draguer, si tant est que leur nombre soit suffisant pour faire pencher la balance. Et évidemment, puisque tout le monde pense que s'abstenir ou voter blanc revient à un non-choix, tout le monde saute à la gorge des absentionnistes, et des quelques bases électorales pas trop éloignées de leur candidat.

D'ailleur, quelque chose me titille : les élections présidentielles sont un jeu à somme nulle : pour que quelqu'un gagne des votes, il faut que quelqu'un perde. Alors comment est-ce possible que quasi tout les candidat-es soient satisfait-es des sondages ? La réponse est assez évidente : chacun-e choisi l'institut de sondage qu'il veut, mesurant les indicateur qu'iel veut, et les sondages sont très chaotiques [1], pour ne pas dire qu'ils sont incapables de mesurer quoi que ce soit. D'ailleurs, tel un météorologiste incapable de prédire le temps de demain qui se mettrait soudainement à tenter de deviner les précipitations du mois prochain en pensant mieux faire, la grande lubie de cette année semble être les sondages « Si X se retrouve face à Y au second tour ». Compte tenu de la volatilité des sondages du premier tour, je ne baserais pas sur leur fiabilité. C'est problématique pour deux raisons : premièrement, toute une partie de l'argumentaire du "vote méluche" repose sur ses chances de gagner : si les indicateurs que l'on utilise pour justifier cela ne sont pas fiables, peut-on réellement croire à ses chances de gagner ? Secondo, puisque les sondages sont peu fiables, il y a fort à parier que dans l'hypothèse (très probable) où mélenchon ne passe pas au second tour, tous les mélenchonnistes verront leur monde s'écrouler dans l'incompréhension. Il faudra chercher des responsables, et comme d'hab', ça sera les abstentionnistes et les micro-partis de gauche. En 2018 déjà, ils leur a manqué "que" 600 000 voix. Il semble utile de rappeler que la première chose qui fait monter l'extrême droite, ce n'est pas l'abstention, c'est le vote d'extrême-droite.

[1]Contexte a fait un excellent travail d'analyse de la fiabilité des sondages dans le temps

Mefiez-vous d'ailleurs de cette impression que tout le monde ou presque s'apprête à voter mélenchon, telle une vague prête à déferler : il y a fort à parier qu'il s'agit d'un biais dû à vos (et mes) cercles sociaux. Aussi bruyants organisés que sont les insoumis-es (convaincu-es ou par dépit) sur les réseaux sociaux et sans non-plus y comparer à la campagne d'astrosurfing ménée par zemmour, cela n'est pas nécessairement représentatif d'une tendance générale.

Ça a été évidemment soulevé par beaucoup de militant-es de gauches agacé-es par les mélenchonnistes, mais il faut semblerait-il le redire : ce n'est pas en m'insultant de « social-traitre » ou en sous-entendant que suis trop con pour comprendre le programme de la France Insoumises ou votre stratégie que vous allez me convaincre. Honnêtement, ce n'est pas bien différent de la vieille rengaine comme quoi « les classes populaires votent mal ». Tranquille le melon ? Notez que c'est autant un reproche qu'un conseil, vous en faites ce que vous voulez. Cela va généralement avec l'idée que les gens "de gôche" qui ne votent pas mélenchon sont des "privilégié-es" qui ne seront pas affecté-es par un second mandat de Macron ou un mandat d'extrême droite. Quitte à faire de la sociologie du doigt-mouillé, méluche a fait son discours Lyonnais à la Croix-Rousse, quartier bobo par excellence, et pour y être allé-e par curiosité, le public était pas vraiment issu des classes populaires et des groupes potentiellement exposés aux caprices du libéralisme et du proto-fascisme, Loin de là. Guerre d'anecdotes à part, vous inquiétez pas, le mandat macron/le pen/zemmour, je le crains. Je vis en squat, avec des camarades pour certain-es encore plus précaires que moi et des camarades sans-pap'. Notre nébuleuse militante de personnes LGBTI/queer et racisées a directement subie de nombreuses attaques de la part des groupements fascistes ces deux dernières années. Les "influenceurs" de gôche ne ce se sont d'ailleurs pas génés pour capitaliser sur nos malheurs pour augmenter leurs followers, sans trop nous demander nos avis ni partager nos événements et manifestations pour demander du soutien. Donc oui, vous inquiétez pas, que vous ayez réellement à craindre personnellement ou pas, j'ai beaucoup à craindre aussi. Je ne pense simplement pas que mon salut soit dans les urnes.

Rendez-vous samedi 9 avril 2022 place Guichard pour une riposte décoloniale queer féministe

Soit dit en passant si vous êtes de Lyon, hésitez pas à venir à la manif contre l'extrême droite ce 9 avril à Guichard


Autre problème : le mandat présidentiel n'est pas "impératif". Dans les syndicats, autres grosses structures militantes et même parfois certains collectifs autonomes, les porte-paroles et représentant-es d'un groupe sont soumis-es à l'obligation de présenter et défendre les éléments tels que décidés par le groupe, et non interpréter sur une base de confiance aveugle de ceux-ci, sous peine de révocation dudit mandat. On parle donc de mandat impératif et révocable. Et de fait, ce n'est pas le cas du mandat présidentiel. Pourquoi utiliser ce terme technique militant alors que tout le monde a déjà conscience que les présidents ont rarement exécutés leurs promesses ? Parce que déjà aujourd'hui, il existe une fracture au sein même de la France Insoumise, entre la base et son grand leader éclairé. Mélenchon se gausse du programme de la FI quand bon lui semble et notamment quand ça peut lui permettre de bien se faire voir à gauche : mais sinon, la FI a très peu de contrôle sur son chef de file. De fait, comment puis-je croire que :

Anecdote sur mélenchon d'ailleurs : un ami très proche de mon cœur s'était retrouvé en charge de son Service d'Ordre il y a quelques années, avant sa transition. Après avoir cherché le responsable du SO parmi les mecs, mélenchon ayant compris que c'était lui qui s'en occupait, s'est approché de lui et lui a tapoté la joue en lui disant « C'est bieennn pour une fille de gérer le service d'ordre ». Plus tard, il lui passa la main dans les cheveux (roux) en lui disant « Je vois que vous assortissez vos cheveux à votre couleur politique ». Il lui aura fallu tout son énergie pour se retenir d'ordonner au SO d'attaquer la personne qu'iels étaient censé-es défendre. Un personnage charmant donc.

Mais bon. Allez, soyons fous. Imaginons que non seulement méluche passe au 1er tour, qu'il est ensuite élu, mais qu'en plus il est de bonne foi. Vous connaissez une des caractéristique principales de la démocratie représentative libérale ? Son inertie. Elle est construite explicitement pour limiter les changements trop brusques, perçus comme des risques de déstabilisation. D'ailleurs, il y a fort à parier que si Mélenchon est élu, il y aura un effet d'action-réaction qui fera que les législatives pencheront plus à droite en réponse, menant à une cohabitation. La probabilité qu'il puisse appliquer son programme radical de 6 e République et de réforme constitutionnelle écologique. L'Histoire le montre notamment au travers des mandats de Mitterand et de Hollande, un président peut bien se prétendre à gauche autant qu'il veut, le mandat qui suit reste un gouvernement de droite avec des réformes de gôches sporadiques, perpétuant d'une manière ou d'une autre le mandat précédent. Pour faire un vague comparatif à échelle locale : l'élection d'une mairie EELV à Lyon a certes menées à l'installation de nouvelles pistes cyclables et l'instauration (toute récente) d'une limite de vitesse à 30km/h en ville (entre autres choses), mais en dépit de cela la préfecture du Rhône continue d'expulser les squats, de chasser les réfugiés et de laisser les fascistes faire leur business. À part quelques vagues discours, la ville, elle, ne fait pas grand chose pour contre balancer tout cela. Nul doute que la ville se porterait encore plus mal sous un énième mandat de gérard collomb (d'ailleurs issu du parti socialiste), mais c'est pas le facteur le plus important de nos problèmes.

Tout cela fait-il de l'abstention un geste révolutionnaire et disruptif ? Loin de là. N'y voyez pas de quelconques prétentions radicales dans ce choix.

Mais après cinq années de mandat macron où j'ai sombré dans la précarité, frolé le burn-out militant un nombre incalculable de fois, construit des traumas. J'ai fait ma part.

Bref, faites ce que vous voulez. Si vous allez voter mélenchon dimanche, par conviction ou par dépit, je comprendrais. Peut-être même que vous avez raisons et que mon égo m'aveugle. Mais perso, dimanche 10 avril, ça sera l'occasion de me reposer enfin dans une kermesse organisée en squat, en jouant au chamboule-tout avec la tête des candidats, et en buvant des coups avec les camarades qui ont partagés mes malheurs ces cinq dernières années. Le jour où tout le monde s'intéresse enfin à la politique, nous on se payera le luxe d'en avoir rien à foutre, au moins pendant une journée.