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Le militantisme d'influence
mauvaise influence
Portable à la main, Thibaut visibilise les luttes
Il encourage d’autres, à visibiliser les luttes
Les luttes s’effondrent, les luttes chutent
Ils faut dire que plus personne, participe aux luttes
Internet vs. le 𝓽𝓮𝓻𝓻𝓪𝓲𝓷#
On va commencer par mettre quelque chose à plat. Internet n’est pas retiré de la vie quotidienne : c’était vrai quand c’était encore qu’une techno émergente, ça l’est d’autant plus maintenant qu’elle est omniprésente.
Les outils sociaux diffèrent, mais les enjeux sont les mêmes. Il sont qu’une extension de la vraie vie. Traiter internet à part, c’est ne pas comprendre ce que c’est.
Ensuite d’un point de vue militant, y a pleins de trucs qu’on peut faire. Y a pleins de trucs qu’on doit faire. Transcription, trad, ressources, agrégat de ressources, entraide, passage d’infos, sensibilisation, information… Sans compter, et même si c’est de l’opérationnel, les luttes sur l’accès à la technologie auprès des populations minorisées (fracture numérique, lutte contre les régimes autoritaires, etc), qui sont essentielles au vue du rôle d’internet aujourd’hui.
Néanmoins
Partager en boucle des posts/vidéos qui “visibilisent” ne fait pas avancer les choses. Oui, visibiliser une lutte, c’est important, mais se contenter de visibiliser des trucs en partageant toute la journée des tweets/reel/tiktok ne suffit pas.
Parfois on tombe sur un reel insta, un tiktok, un tweet ou un article de blog et la première question qui vient en tête c’est “mais dans quel monde iel vit pour affirmer ça ?”.
Mais bon, "y a des gens qui ont pas le temps de militer" c'est vrai que moi j'ai le temps, jmilite parce que ça me fais kiffer : j'aime trop me pourrir la santé physique et psy pour espérer pas crever. C'est un argument juste insultante envers les gens qui se crèvent le cul, IRL et/ou en ligne.
Logique de communication#
À la manière des entreprises, certains groupes/orgas ont développé une appétence pour la communication. Peu importe ce qu’il se passe, tant qu’on communique autour. Résultat, une énorme partie de l’énergie et des ressources passe dans la comm plutôt que l’action réelle.
Certains groupes se sont spécialisés là dedans : le gros de leur comm’ tourne autour de l’action direct, mais leur action sur le terrain est purement performatif : toute leur hiérarchie est composé d’influenceurxs en chef et de sergents influenceurxs. Par leur sur-présence sur les réseaux, iels persuadent tout le monde qu’iels sont le moteur des luttes d’une région, mais si vous êtes sur la même région qu’elleux vous ne les verrez jamais faire autre chose que des actions ayant pour but de visibiliser leur propre groupe. Bref, une machine à faire de la comm, qui a imposé l’idée qu’iels sont les seules à agir sur le terrain, alors que c’est tout le contraire.
Alors on pourrait ergoter toute la journée sur la nécessité d'avoir des figures publiques, des portes paroles, en mandat impératif ou non, parce que c'est comme ça que marche la politique aujourd’hui.
Mais les influenceurs, qui leur a demandé ? Qui les “mandate” ? X ou Y sujet n'a jamais été aussi visibilisé d'accord, mais pour quel effet ? La visibilité existe jamais dans le vide, elle peut pas être une fin en soi, en témoigne le pinkwashing. Les seuls qui bénéficient, au sens pécuniaire du terme, de la visibilité, c'est les influenceurs. Ils sont l’équivalent web des éditorialistes et polémistes à la TV qui ne font rien d’autre que de donner leur avis pour faire tourner le monde autour d’elleux.
C’est d’ailleurs devenu monnaie courante que ces “figures” s’appuient sur des actions/événements/manifs créés par des collectifs/orgas pour créer du contenu et de l’engagement sur leurs réseaux. Elles vampirisent alors carrément les luttes actives. Voyant que des gens bougent et s’activent, ces personnes continuent leur cirque, se convaincant alors d’avoir réellement un rôle de “porte parole” à jouer, dans un dialogue qui en vrai est à sens unique
La visibilité c’est important. On a besoin de mettre en lumière ce contre quoi on lutte, ce pour quoi on lutte.
Mais aujourd’hui y a une quantité d’énergie absolument phénoménale qui est investie dans cet axe “visibilité” comme si c’était le cœur de la lutte, alors qu’en parallèle sur le terrain (dans lequel j’inclus internet) et que j’oppose juste au travail surplombant de la comm’, qui manque cruellement de bras et d’énergie. Notamment la logistique, le soin, la bouffe, les réseaux de solidarité, la thune.
Et pendant ce temps, le “milieu” militant fait comme les partis, c’est à dire se jette à corps perdus dans la bataille médiatique, en pensant que visibiliser plus que nécessaire fera magiquement bouger les choses. Et les choses bougent parfois, mais du fait du vrai taff fourni, et non de ce spotlight éblouissant qui se contente finalement surtout de commodifier et transformer en contenu diffusable capitalo-friendly la souffrance des unx et le taff des autres.
Le “milieu militant” me renvoie l’image de certaines entreprises dont la moitié des forces vives et les 3/4 du pognon sont au pôle comm/marketing alors que c’est leur cœur de métier qui fait tourner la boite.
L’individualisme#
Selon cette approche du militantisme, on est touxtes influencerxs. Et tout ça prend un pli cynique couplé aux logiques d’anonymat voire de clandestinité qu’implique beaucoup de luttes.
Des gens agitent leur CV militant et s’appuient sur leur engagement public : iels peuvent trop facilement se faire passer pour l’avant garde des luttes simplement parce que personne de “connu” ne fait plus qu’elleux. Mais y a beaucoup de choses qui sont fait dans l’anonymat, ou caché derrière le nom d’une orga/collectif. C’est soit pour des raisons de sécurité, soit parce que ça a vocation à alimenter une lutte collective, et parfois (souvent) les deux. En dehors des quelques contextes nécessitant une figure public comme unx porte parole, la seule raison à ce choix de l’engagement public individuel, c’est le clout.
Les luttes se font dans l’anonymat : les syndicalistes disent pas “moi chef département de tel section”, c’est “le syndicat”, les féministes, les antiracistes et les queers c’est “le collectif” ou “l’asso”. Les “totos” pareil, quand iels ne revendiquent même pas et se contentent de faire.
Y a tellement de travail fait dans l’ombre au jour le jour par des associations et des collectifs. Et toi t’arrives et tu dis « Oui, mais moi au moins je fais des trucs, regarde tous les postes insta qui le prouve, toi t’as fait quoi ? ». Moi j’ai fait des trucs dont je peux pas parler, par respect de la logique collective ou par sécurité. Mais tes stats sont sans doute le cœur de la lutte, j’imagine.
Ça serait facile de tomber dans une analyse très abstraite de “c’est la faute de tiktok et instagram si les luttes galèrent”. On peut facilement trouver des responsables en chair et en os. Le capitalisme absorbe tout, y compris les contre-cultures et ses oppositions. Et y a des gens qui face à ce mécanisme se sont dit « tiens moi je vais commodifier hmmm... Les luttes ! ». C'est vraiment l'équivalent de quelqu’un en galère de thune qui décide de vendre le frigo de la coloc. Les influenceurs militants qui construisent une vision des luttes basée sur leurs consommation, à coup de campagnes d’influence qui tourne autour de leur petite personne.
Ils parlent des mouvements sociaux comme des trucs qui apparaissent dans le vide, qu’on attend, pour ensuite y participer et visibiliser sa participation à. Ils ont construit l’idée que militer consiste à s’assurer de faire monter un chiffre de participation, et éventuellement convaincre d’autres de faire de même.
Un vrai système pyramidale où tout le monde est influenceurx, toi moins important que elleux mais plus important que les autres. Iels font l’impasse sur tout ce qu’implique une lutte, dans toute sa diversité (assos d’accompagnement, manifs, structures, collectifs, actions) et ce qui est nécessaire pour que ça existe : de l’énergie, des gens, des réus chiantes, des mains dans le cambouis, des débats désagréables.
Et la consommation militante passive#
On en arrive donc à des discours déconnectés du “terrain” (et j’insiste mais, qu’il soit physique ou virtuel). On voit parfois sur les réseaux des gens “commander” des actions.
« Y a pas de pride de nuit cette année ??? »
« Trop bien la pride de nuit à lyon, pourquoi y en a pas à lille ? »
« Vous savez si y a un cortège queer-palestine organisé au 1er mai ? »
Bah si y a pas, fais-le toi ?
Les manifs tombent toutes cuites : et si y en a pas, c’est que les cortègeologues ont failli à leur tâche assignée implicitement. Vous inquiétez pas, iels seront bientôt remplacées, iels sont déjà en burn-out.
Les publis qui annoncent les manif tournent de ouf, jusqu’au moment du poste “appel à bénévoles” où soudain tout le monde a piscine. Tout le monde veut venir à la manif/l’action, personne veut participer à son organisation. Ça tient de la commande de fast-food, du militantisme passif.
De cette consommation passive découle une autre conséquence tout autant néfaste : on a complètement accepté l’idée que les luttes sont en concurrence sur le marché de l’attention. Gros focus sur une lutte pendant quelques mois, mais si une autre pointe le bout de son nez à cause de l’actualité, tout le monde se regarde en chien de faience à savoir qui a la priorité et qui accusera l’autre “de l’invisibiliser”.
Du coup, on guette les chiffres. « et ça y est, les gens recommencent à oublier la Palestine, l'engagement des posts baissent ». Déjà l’engagement est pas à l’image de ce qui se passe en société. Et cette vieille compèt entre les misères c'est ce qui les commodifie. Surtout, ça t'arrange bien que ça soit l'engagement de ta page d'influenceurx militantx qui faut maintenir à flot.
Conclusion#
Et de tout ça, je point du doigt les influenceurxs : sous prétexte de visibiliser les luttes, iels les revendent, en s’appuyant sur le travail fourni par les militantxs comme matériau de base, et construisent une logique de consommation. Des gens organisent une manif ou une action, iels appellent à y participer comme iels avaient fourni ce taff, font juste ça en boucle et râlent quand “y a pas de manif pour X” : en vérité, iels dénoncent qu’on leur fourni pas les matériaux qui alimentent leur belle machinerie qui transforme les luttes en followers.
Il faut y faire face : les influenceurxs ne sont pas un “mal nécessaire” : c’est une plaie. Chassons-les de nos luttes.