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L'écologie digitale, main verte invisible du marché (Partie 1)
Les impasses du mouvement écologique appliqué au numérique. Première partie : une marée noire de statistiques.
Alors que le mouvement écologiste s'affole (à raison) de "l'urgence climatique", celui-ci s'empare d'un sujet ô combien complexe et insaisissable, le numérique. Sans surprise, l'approche choisie est malheureusement à l'image du reste des initiatives, limitée techniquement et politiquement et semble déjà atteindre une impasse.
Dans ce premier article d'une série sur "l'écologie digitale", nous allons commencer par analyser les différentes statistiques qui semblent servir de fondation pour tout le reste du discours sur les usages du numérique et leur pollution.
Depuis quelques années de nombreux conseils fleurissent sur le web pour réduire l'impact carbone de nos usages numériques : applications pour nettoyer sa boite mail, extensions de navigateur "vertes", moteurs de recherche éco-responsables… ainsi que des listes toujours plus longues de conseils à appliquer au quotidien. Au premier abord, ces conseils paraissent aussi efficaces que de bonne volonté. Les média nous bombardent de statistiques et de comparaisons sur l'impact de chacuns de nos usages, issus de think-tanks aux noms plus green les uns que les autres. Il est donc facile de se laisser convaincre par des infographies léchées que nos mails non-supprimés depuis trois ans participent au réchauffement climatique.
Pourtant, beaucoup de ces "faits" semblent complètement techniquement absurdes quand on est familier avec le domaine. Il est alors tentant de remonter à la source de ces affirmations pour en vérifier la véracité. Et là, d'une manière ou d'une autre, ça coince. Selon les cas, on a le droit à une estimation approximative faite par des chercheurs mise à l'échelle sans plus de précaution, à une mesure faite au doigt mouillé par des gens ne comprenant pas les implications techniques, ou à une vieille étude sortie de son contexte.
Histoire d'enfoncer le clou, les chiffres obtenus sont mis en perspective par le biais de comparaisons avec des éléments supposément plus concrets. Résultat, il parait q'une box internet consomme plus qu'un frigo : plus qu'à acheter un frigo connecté donc.
Le numérique est par nature un empilement d'abstractions qui rend presque impossible la compréhension des enjeux techniques et politiques qui le traverse. Comme toutes les autres sciences, on se retrouve systématiquement pris en tenaille entre l'immensité du champs d'étude et la foultitude de détails. On peut donc difficilement blâmer les personnes s'attêlant à la tâche herculéenne de l'estimation de l'impact de nos usages de travailler avec des approximations. Mais le mille-feuille d'analogies et d'approximations devient rapidement trop épais pour ne pas être indigeste.
S'il y a bien une chose que ces dernières années ont pu prouver, c'est les limites du "fact-checking". Cette pratique est non-seulement très peu efficace pour lutter contre les fausses informations mais aussi trop facilement détournable pour donner un vernis de légitimité à des affirmations pourtant fausses. Mais avant de décortiquer le mouvement du numérique écologique tel qu'il existe aujourd'hui, il semble important de faire un état des lieux de sa face la plus visible, les statistiques et les conseils qui lui servent d'appui.
Cet article a vocation à être mis à jour au fur et à mesure : n'hésitez pas à me contacter pour suggérer des ajouts, souligner des erreurs, etc.
Sommaire
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Premier cercle de l'enfer : les "techniquement, c'est vrai#
Le numérique représente 4% des émissions mondiales de pollution
l'étude produite par The Shift Project à l'origine de cette affirmation semble plutôt bien étayée, mais nécessite d'être contextualisée.
Ce fameux "4%" que l'on retrouve dans tous les médias est issu du rapport « pour une sobriété numérique » (archive) du think-tank The Shift Project créé en 2010, s'appuyant lui-même sur les données de l'étude Andrae & Edler, 2015 (archive). Très peu d'études existent sur le sujet de la part du numérique dans la pollution : la raison à cela étant que le numérique est un domaine "transversal", c'est à dire qui s'entremêle avec les autres. Cela rend difficile l'estimation de la pollution émise par le secteur numérique seul puisqu'il est presque impossible d'isoler par exemple la pollution égendrée par les infrastructures informatiques utilisées par l'industrie pétrochimique de leur pollution générale. Bien que ce rapport proposé par The Shift Project s'appuie sur des travaux sourcés et présente sa méthodologie de manière transparente, cette distinction semble absente et impute l'entièreté de la pollution due au numérique aux usages individuels.
Avec des "techniquement", on mettrait Lyon en bocal.
Une donnée parcourt en moyenne 15 000km
Cette donnée est issue du rapport La face cachée du numérique (archive) de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME). Le chiffre est facilement vérifiable, même si l'ADEME ne daigne pas l'expliquer. Sauf que les données ne transitent pas par porte-conteneurs. Dans le numérique, la distance n'est pas un bon indice de la pollution créée par une "donnée".
Ce chiffre que l'on retrouve partout est vraisemblablement issu du rapport "La face cachée du numérique" (archive) de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), un établissement public qui fait autorité dans le milieu. Aucune explication n'est présente dans le document, la donnée est présentée tel quel, au milieu de statistiques aléatoires. Pourtant, le web est évidemment à l'image du reste du monde occidento-centré et plus encore américano-centré : lorsque l'on remonte le trajet d'une requête sur le site de Google, y compris dans sa version française, on peut voir notre requête rapidement filer vers les État-Unis. À ~7500km la distance France-USA, on arrive donc facilement à la valeur précédemment évoquée.
Sauf que cette valeur ne veut pas dire grand chose : les "données" ne traversent pas l'Atlantique transportées dans des porte-conteneurs. Une requête peut très bien atterrir dans le datacenter à côté de chez vous, sur une infrastructure datée, mal gérée et alimentée par la centrale au charbon locale, tout comme elle peut en quelques sauts traverser presque instantanément des câbles sous-marins en fibre optique et atterrir dans un datacenter à la pointe de l'innovation et de l'optimisation, alimenté par éoliennes. Dans le numérique, la distance n'est donc pas un bon indice de la pollution créée par une donnée [1].
[1] | Elle l'est en revanche lorsque l'on aborde des questions légales, évidemment. |
La vidéo en ligne représente 60% du trafic
Cette statistique émane encore une fois de The Shift Project. Elle est issue d'un de leur rapport basé sur des données solides publiées par Cisco et Sandvine, deux sociétés travaillant dans le domaine du réseau. Si le chiffre semble plutôt solide, il tend à laisser penser que la vidéo représenterait donc 60% de la pollution émise par le numérique : sauf que le trafic n'est qu'une partie de l'histoire.
Cette donnée est basée sur un rapport du Shift Project (archive), encore une fois assez bien sourcé et qui explique sa méthodologie. Les sources en question sont respectivement issues de données publiées par Cisco (archive), un géant de l'industrie du réseau, et de Sandvine (archive), société spécialisée dans les métriques réseau par le biais de sondes disposées à travers le monde. the Shift Project croise ces deux sources, ainsi qu'avec un "enquête", et y applique une métrique détaillé de leur crue d'une estimation du "poids" d'un octet. On peut donc considérer que même si le chiffre exact ne pourra jamais être trouvé, l'ordre de grandeur semble plausible et fondé.
Néanmoins, cette proportion s'applique précisément avant tout au transit sur le réseau, et non au traitement ou au stockage. Il n'est donc pas question de multiplier ces 60% par les "4% de part dans la pollution mondiale" pour obtenir la pollution générée par la vidéo en ligne (comme on va le voir juste après).
Deuxième cercle de l'enfer : "C'est faux, mais y a de l'idée"#
La vidéo en ligne constitue une importante source de pollution.
La vidéo constitue un très gros "poste" en terme de trafic pur, et est donc plutôt pollueuse. Mais le trafic ne constitue pas l'entièreté de l'histoire, et les données qui tournent généralement dans les médias sont vraisemblablement largement surestimées.
Une formule qui accompagne souvent cette affirmation est que « Le visionnage en ligne d'une vidéo en haute définition de 10 minutes sur un smartphone équivaut à utiliser à pleine puissance un four électrique de 2000W pendant 5 minutes ». Cette citation est issue d'un rapport de 2018 (archive) de The Shift Project qui utilisait cette exact tournure. Leurs rapports suivants ont corrigés cette erreur, mais la pollution liée à la vidéo en ligne reste sujet à des débats très intenses. Dans un long et étayé article (archive), l'analyste George Kamiya souligne que le Shift Project aurait très largement surestimé ce chiffre. Le think tank a alors publié un article (archive) dans lequel ils reconnaissent l'erreur mais affirme que celle-ci n'invalide pas leur conclusion quant à l'importance de la vidéo en ligne dans la pollution numérique.
Mais encore une fois, cette statistique ne suffit pas à elle même. Comme évoqué plus haut, il ne s'agit pas de multiplier les 4% de part du numérique dans la pollution pour en déduire la pollution générée par la vidéo. Les plateforme de SVOD comme Netflix ou Disney+ par exemple, même si elles stockent généralement des fichiers en très haute qualité qui ont donc une forte empreinte sur le réseau, ont un nombre de vidéos stockées relativement bas. En revanche, les plateformes d'hébergement affichent des chiffres démesurés : Ben McOwen Wilson, directeur régional "EMEA" (Europe Middle East & Africa) de Youtube, géant incontesté du domaine, annonçait en mars 2018 que Youtube recevait 500 heures de nouveau contenu **par minute** (archive). Alors que youtube génère théoriquement moins de trafic selon les rapports précédemment cités, il y a fort à parier que l'impact de son infrastructure vidéo soit démesurément plus grand.
Les réseaux mobiles (3G, 4G) consomment jusqu'à 23 fois plus que le Wi-Fi
Les réseaux mobiles consomment (sans surprise) plus que le Wi-Fi, mais pas à raison de 23 fois plus. L'origine de cette valeur est difficilement trouvable, mais semble être un papier scientifique de 2012, et il s'agit là de la valeur dans les pires conditions, sans doute choisie pour dramatiser le problème. Le ratio s'approche plus de deux à sept fois.
On peut entre autres retrouver l'affirmation que la 4G (LTE) consommerait 23 fois plus (et la 3G 15 fois plus) que le Wi-Fi chez Greenpeace Wikipédia et enfin Frédéric Bordage (GreenIT). Ce dernier est d'ailleurs le seul à fournir un semblant de source, celle-ci datant de 2012 (page 9 & 10). Une autre étude sur le sujet (figure 6) datant de 2017 arrive à un ratio plus proche de 2x. Cette différence peut potentiellement s'expliquer de plusieurs manières :
- par des méthodes de mesure différentes selon les études, prenant plus ou moins en compte l'impact de l'infrastructure en plus de l'appareil ;
- par l'amélioration rapide des technologies radio au fil des années ;
- par l'amélioration des protocoles de transfert, l'étude utilisée par GreenIT soulignant que la différence se creuse avant tout dans les quelques pires cas (dit "tail", désignant soit la fin de transmission, soit les pires cas parmi ceux mesurés) [2].
[2] | « we find that LTE is as much as 23 times less power efficient compared with WiFi, and even less power efficient than 3G, based on the user traces and the long high power tail is found to be a key contributor. » |
La conclusion de ce papier qui sert de base à GreenIT qui sert lui-même de base à Wikipedia et Greenpeace est donc plutôt que les réseaux 3G/4G sont (ou plutôt, étaient en 2012) très mal optimisés. Le contexte technique devrait être présenté pour mettre en perspective cette valeur. D'autre part, Elle constitue la la valeur dans le pire des cas, issue d'une seule étude qui n'est en rien valeur d'autorité : elle a été choisie car elle présente l'écart le plus large et permet donc de "choquer". Néanmoins, il est important de souligner qu'il est techniquement vrai que les réseaux mobiles consomment intrinsèquement plus que les réseaux "fixes", de part leur champs d'action même.
Le mode sombre sur les applications et les sites web améliore la consommation des appareils
Basé sur une conférence faite par Google sur le sujet, mais seuls quelques rares appareils (ceux dotés d'un écran OLED) sont concernés, et l'effet collectif est absolument infinitésimal
Dernier exemple de statistique techniquement-vraie-mais-en-fait-c'est-plus-compliqué, la question du "mode sombre" : de nombreux guides en ligne pour réduire son empreinte carbone numérique suggèrent de passer au "mode sombre" disponibles sur de plus en plus d'applications pour réduire leur consommation électrique et donc leur impact carbone. L'origine de cette affirmation serait une conférence Google de 2018 (vidéo) comparant la consommation des pixels selon leur luminosité (d'autres tests ayant étant été fait sur le sujet allant dans le même sens). Or, celle-ci n'évoque un gain que dans le cas des écran "OLED" qui "éteignent" réellement leurs pixels, à contrario des écran LCDs qui se basent sur un rétroéclairage et ne bénéficient donc virtuellement d'aucune amélioration. Or, Les écrans OLED sont encore largement minoritaires sur les smartphones (d'autant plus en dehors des modèles haut de gamme) et quasiment aucuns de PCs portables ou écrans pour ordinateur ne bénéficient de cette technologie. Il faut donc se renseigner sur ses appareils pour savoir si ce conseil s'applique. Dans le cas d'un écran LCD classique, le conseil serait d'ailleurs plutôt de baisser la luminosité de celui-ci, au pris d'un confort visuel fortement réduit. Qui plus est, on parle là d'une économie en soit non négligeable mais minoritaire, sur une part minime des terminaux, dont la consommation constitue un poste minoritaire, l'utilisation elle-même des terminaux engendrant 20% de la consommation énergétique du numérique selon The Shift Project, qui lui-même représente 4% des émissions. Il s'agit donc là d'une poupée russe statistique qui masque l'impact infinitésimal d'une telle pratique, quand bien même elle serait appliquée par toutes et tous. Au mieux, si vous possédez un appareil équipé d'un écran OLED, sachez que vous pouvez améliorer son autonomie en utilisant au maximum le mode sombre.
Troisième cercle de l'enfer : la poubelle verte#
Les statistiques précédentes, mêmes si elles sont décontextualisées voire exagérées, ont le mérite d'être tout de même évocatrices d'une réalité technique, et donc potentiellement en phase avec les solutions proposées. Ce n'est malheureusement pas la norme, loin de là. Entre autres, deux des plus grands marionniers de l'avant-garde écologiste digitale, sont la pollution engendrée par les recherches Google, et celle engendrée par les mails. La suite va vous étonner.
Une recherche Google c'est 10g de CO2
L'affaire date de 2009, l'étude n'a jamais été publiée, Google a sorti son propre chiffre de 0.2g en réponse (ce qui ne veut pas dire qu'il faut les prendre pour argent comptant), et le chercheur Docteur Alex Wissner-Gross à l'origine de l'histoire a ensuite nié que son étude portait sur cela. Il affirme que The Sunday Times qui a rapporté l'affaire a fait un article à charge contre Google en détournant ses travaux.
Concernant les recherches Google : le chiffre est aujourd'hui encore partout dans les médias : une recherche sur Google génèrerait entre 5 et 10g de CO2, soit "autant qu'une demie bouilloire". Une simple pression d'une touche qui provoque autant de pollution qu'un appareil qui chauffe un litre d'eau, on peut comprendre que ça a de quoi émouvoir. Mais lorsque que l'on remonte la source de l'histoire (ce que les personnes qui propagent l'info ne font presque jamais, évidemment), les choses sont bien plus nuancées. L'histoire commence en 2009 avec un article dans The Sunday Time rapportant les propos du Docteur Alex Wissner-Gross, article depuis supprimé. Il affirme dans celui-ci qu'une recherche Google génèrerait entre 5 et 10g de CO2 ; on y retrouve d'ailleurs déjà la comparaison avec la bouilloire, perfide albion oblige. Le chercheur annonce que ses travaux ont été soumis au US Institute of Electrical and Electronics Engineers et qu'ils sont en attente de publication. 11 ans après, cette étude n'est toujours pas paru. À la suite de cette article, Google a réagi dans un poste de blog en affirmant de son côté qu'une recherche google génèrerait que 0.2g de CO2, qu'ils comparent au maximum de 140 grammes de CO2 par kilomètre recommandé par l'europe (mais rarement atteint selon eux) pour une voiture à l'époque. En réaction, le chercheur a nié être à l'origine de cette statistique, affirmant qu'il a simplement évoqué la consommation d'un ordinateur causé par une page web et que The Sunday Times aurait volontairement fait un article à charge contre Google en détournant ses propos. Dans tous les cas, les médias diffusent encore une statistique erronée (de la bouche du chercheur lui-même), 11 après que celle-ci ait été mise en défaut.
un mail c'est environ 10g de C02 par destinataire
L'auteur originel, Mike Berners-Lee qui avait lâché cette statistique dans un livre, a depuis recontextualisé ses propos et remis en perspective cette valeur
Concernant les mails maintenant. Les chiffres varient d'un article à l'autre mais dans l'idée la pollution engendrée par un mail serait de l'ordre de 4 à 10g pour un mail simple, et jusqu'à 50g pour un mail avec une pièce jointe. La source rarement cité serait selon cet article (archive) de Futura Sciences un rapport du Carbon Literacy Project lui-même basé sur des données du livre "How Bad Are Bananas?" par Mike Berners-Lee, frère de Tim Burners-Lee, inventeur du World Wide Web. Sauf qu'encore une fois, l'auteur originel est revenu sur cette statistique —de manière plus transparente et honnête que dans l'exemple précédent—, via un tweet (archive). Il la remet d'ailleurs en perspective aussi bien en terme de taille que de traitement comparé à d'autres usages du web.
Pour remettre tout ça en perspective : dans les captures d'écrans suivantes, le chargement de la page de gmail, le webmail de Google, provoque environ 1Mo de transit (pour 16Mo de ressources, compressées) : l'ouverture d'un mail généreux en taille venant d'une célébre solution de vidéoconférence, 50ko, soit 20 fois moins.
Une box internet consomme autant qu'un frigo : pensez à l'éteindre quand vous ne l'utilisez pas
Non, pas de nos jours en tout cas. Une étude de *60 millions de consommateurs* avait relevé que les box internet consommaient beaucoup trop (« entre 143 et 263 kilowatts/heure ») pour ce qu'elle faisaient, la faute aux opérateurs qui ne faisaient pas d'effort d'optimisation… en 2007. Un test rapide montre qu'une box internet consomme huit fois moins qu'un frigo, même dans des conditions avantageuses pour ce dernier.
Ce conseil là est apparut telle une trainée de poudre dans tous les médias, spécialisés comme généralistes. La logique derrière cette affirmation serait la suivante : un frigo consomme pas mal, mais pas en continu, là où une box internet est virtuellement en ligne h24. Pourtant, l'écart de puissance semble telllement absurde pour que ça puisse être vrai. Pour en avoir le cœur net et à défaut de mieux, j'ai acheté pour la modique somme de 14 euros un "Wattmètre" (Perel E305EM6 si vous êtes curieux-ses), un appareil spécifiquement destinée à mesurer la consommation éléctrique d'un appareil sur une durée donnée. Il se présente sous la forme d'un bloc qui s'interpose entre l'appareil et sa prise. J'ai pris comme référence les équipements qui étaient à ma portée, c'est à dire la box internet (LiveBox Orange v4) et le frigo (Apollo Brandt) de notre colloc de trois personnes : cela ne fait pas état de valeur absolu, mais permet de se faire une idée de l'ordre de grandeur. L'expérience était de base biaisé en faveur du frigo, puisque le froid de l'hiver réduisait le travail de celui-ci, et que notre box internet porte plusieurs serveurs dédiés à mon auto-hébergement. J'ai donc mesuré leur consommation respective sur une semaine, et le bilan est assez anti-climatique :
- la box a consommé en moyenne 0.009 Watt/heures (1.67 Watt/heures en ~168 heures) ;
- le frigo a consommé en moyenne 0.07 Watt/heures (13.23 Watt/heures en ~189 heures).
Le frigo a donc consommé quasiment huit fois plus que la box internet, dans un environnement qui aurait encore une fois dû largement l'avantager.
Je ne suis d'ailleurs pas la seule personne qui a été interloquée par cette statistique.
Qui propage cette idée ? Et bien il semblerait qu'il s'agit… de l'ADEME encore, qui est pour rappel un établissement public. On peut lire dans leur guide "la face cachée du numérique", considéré comme une référence en la matière; ainsi que dans leur autre guide "réduire sa facture d’électricité" (qui cite 60 millions de consommateurs) :
une box consomme autant qu'un réfrigérateur : Sa consommation totale sur un an, se situe entre 150 et 300 kWh : c'est autant qu'un grand réfrigérateur ! Une box TV consomme 3 fois ce que consomme un téléviseur et une box Internet, 6 fois plus. Une solution pour moins consommer d'électricité : ne laissez pas votre box en veille si vous ne l'utilisez pas. Vous économiserez ainsi environ 30 euros par an.
La source 60 millions de consommateur est semble-t-il un article posté dans le magasine éponyme en octobre 2007 évoquant une consommation « entre 143 et 263 kilowatts/heure (kWh) » (une donnée étrangement haute par ailleurs, mais passons). Le magazine reproche en l'occurence aux fabriquants de mal optimiser leur matériel. Difficile à dire si les box internet consommaient effectivement autant à l'époque, mais en 2021, alors que cette donnée est toujours citée, ce n'est clairement plus le cas. Sans parler de la problable surconsommation engendrée sur le réseau si tout le monde débranche et rebranche sa box chaque nuit, du fait de la resynchronisation.
Pensez à vider le cache de votre ordinateur pour limiter sa consommation
Hormis pour libérer de l'espace, c'est non seulement inutile mais en plus contre-productif. Le cache sert à garder en mémoire des ressources souvent utilisées mais inchangées. En supprimant le cache, on force l'appareil à mobiliser les infrastructures pour des ressources qu'il possédait déjà. Autant jeter ses poubelles par la fenêtre pour réduire sa taxe ménagère et son empreinte carbone personnelle.
Même si ce conseil est plus rare, il frappe par son aburdité. On nous conseille de vider notre cache comme l'on vide nos poubelle. Dans la même logique que le mail, si ça prend de la place, c'est bien qu'il faut nettoyer non ? Pourtant nettoyer son cache n'est pas seulement inutile : c'est contre-productif. Le "cache" (sous entendu du navigateur, soit-il Firefox, Chrome ou autre) sert à garder en mémoire des ressources régulièrement utilisées mais peu changeantes. Les grands sites utilisent souvent des polices d'écriture, des scripts ou bien même des images identiques : les re-télécharger à chaque fois serait donc littéralement une perte d'énergie, aussi bien pour nos appareils que pour les structures qui hébergent ces ressources. Lorsque que l'on nettoie son cache, on force notre navigateur à re-télécharger ces ressources pour rien. Qui plus est, Les acteurs hébergeant ces ressources sont généralement des géants du web comme Cloudflare ou Amazon, qui n'hésitent pas à profiter de ces requêtes pour agrandir plus encore leur base de données d'informations sur nos usages. La bonne stratégie est donc l'exact contraire de ce qui est recommandé par ces "champions du numérique", c'est à dire faire perdurer ce cache autant que possible. Une solution simple, disponible aussi bien sur Firefox que sur Chrome est Decentraleyes, une extension qui garde en mémoire ces ressources au delà du cache pour limiter le nombre de requêtes vers l'extérieur, et ainsi à la fois limiter les ressources mobilisées et les données de tracking que l'on génère. On est jamais mieux servi que par soi-même. Ce conseil absolument absurde est trouvable aussi bien dans une vidéo produite par le youtuber Nozman que sur le site de *L'Agence Parisienne du Climat* (archive), partenaire de l'ADEME, et ce malgré qu'un rapport soutenu par cette dernière affirme l'exact contraire (archive).
L'écologie digitale, ou la main verte invisible du marché :
- Première partie : le fact-checking à la cool
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